Loups-Garous (4) – Où sont les femmes ?

Et revoilà la dissection lupine de la dragonne ! Après avoir parlé du changement, on va s’intéresser à un étrange problème : mais où sont les femmes ? Car oui, si on regarde bien, les loups-garous des romans, films et autres séries sont souvent des hommes. Et quand parfois il y a une femme, elle fait figure d’exception… Mais tout cela est-il bien cohérent ?

Note préliminaire

La détermination sexuelle, chez les humains, c’est le bordel (non, ce n’est pas du tout aussi simple que XX femelle / XY mâle. Vraiment pas). Et là-dessus se rajoutent encore les conceptions de genre (se considérer homme et femme, et non ce n’est pas lié au point précédent). Mais cet article est déjà assez long comme ça, et ce n’est pas mon propos. Donc, pour faire simple, je vais principalement employer les termes « biologiques » de mâle et de femelle.

1. Chez les loups

1a. Male ou femelle ?

Le ratio de mâle et de femelle chez le loup est encore assez peu étudié, et il y a peu de données disponibles pour permettre une véritable généralisation. Ce qui est sûr, c’est qu’il dépend de beaucoup de chose : la nourriture disponible, la taille du territoire, la taille de la meute, mais aussi et surtout les pressions exercées par l’homme (notamment la chasse).

Il semble que pour des meutes de bonne taille, ayant assez de nourriture et d’espace, le sex-ratio soit à peu près équilibré : il y a environ autant de mâles que de femelles. En revanche, s’il y a trop de pression sur la meute, le sex-ratio va se déséquilibrer, parfois de façon très importante (70%-30%, par exemple). Il y a ainsi davantage de mâles dans les grandes populations (grandes meutes, forte densité de loups sur un même territoire), et davantage de femelles quand la population est petite (petites meutes, faible densité de loups).

C’est d’ailleurs bien pratique. En effet, la taille d’une population dépend des femelles, puisque ce sont elles qui portent la génération suivante. Pour une petite population, il est donc plus important d’avoir des femelles que des mâles, et ce afin de maximiser les chances de reproduction. Lorsqu’il y a plus de loups, en revanche, on peut se permettre de faire des mâles…

Bref, les femelles… c’est quand même vital.

1b. Qui fait quoi ?

Il existe un léger dimorphisme sexuel chez les loups : les mâles sont un peu plus grands et plus massifs que les femelles. Mais au-delà de ça, il semble ne pas y avoir de répartitions des tâches différentes.

Les femelles participent à la chasse, sont présentes pendant les affrontements avec d’autres meutes, migrent pour fonder leur propre famille aussi loin que les mâles…

Bref, une louve est tout à fait capable de faire sa vie toute seule.

Deux loups au pelage gris beige, couchés, l'un regardant vers l'objectif d'un air un peu endormi et l'autre ayant la tête posée sur son dos et regardant vers la droite.
« Quoi, t’en a pas encore marre de parler de nous, petite humaine ? » « Laisse, ça lui passera, un jour… » Loups gris, photo prise au Parc Animalier de Sainte-Croix

2. Chez les humains

2a. Male ou femelle ?

Chez les humains, le sex-ratio est de 50 %-50 % à la conception de futur embryon. Il passe ensuite par plusieurs phases de déséquilibres (qui restent assez « faibles », de l’ordre de quelques % au grand maximum, souvent moins). Il existe notamment un excès de mortalité mâle au tout début de la gestation (70 % des avortements spontanés de cette période concernent des fœtus mâles), puis un excès de mortalité femelle pendant plusieurs mois, puis un nouvel excès de mortalité mâle sur le dernier mois de gestation. Au total, la mortalité femelle est légèrement supérieure, donnant un sex-ratio à la naissance qui est légèrement en faveur des mâles (51,3 % de mâles pour 48,7 % de femelles).

Ce sex-ratio particulier est d’ailleurs si fixe que toute déviation est un signal d’alerte indiquant un éventuel eugénisme sexe-spécifique (c’est-à-dire des avortements si l’enfant n’est pas du « bon » sexe, et qui touche souvent les filles).

Après la naissance, les femelles retrouvent leur avantage : elles meurent moins souvent dans les premières années de vie, vivent plus longtemps, etc.

2b. Qui fait quoi ?

Au-delà de tout biais sociétal, mâles et femelles ont environ les mêmes capacités physiques et mentales. N’en déplaise à certains, une femelle est tout à fait capable de se débrouiller toute seule sans aide.

Elles ont même certains avantages. Dans la gestion de la douleur, par exemple. Si les femelles sont apparemment plus sensibles à la douleur que les mâles (parce qu’elles sont réellement plus sensibles, ou parce qu’elles ont moins honte de le dire, ou pour d’autres biais, la question n’est toujours pas tranchée), elles la gèrent mieux sur le long terme. En fait, elles ont une moindre mémoire de la douleur que les mâles, ce qui leur permet d’affronter des épisodes douloureux répétés avec moins de stress… parce qu’elles ont oublié à quel point elles avaient eu mal avant.

Loup au pelage gris beige et aux yeux jaunes, couché en sphinx, regardant un peu à droite de l'objectif.
« Il y a un truc qui bouge à côté de toi. Si, si, je t’assure ! » Loup gris, photo prise au Parc Animalier de Sainte-Croix

3. Et les garous alors ?

Les explications au manque de femmes parmi les loups-garous sont souvent de deux sortes. Il n’en nait pas, ou elles ne survivent pas aux premières transformations.

Sauf que ça ne tient pas, surtout pour des loups-garous qui seraient considérés comme une espèce à part entière.

Déjà, pour les naissances (si les garous forment une espèce qui peut se reproduire). Pour les loups, le sex-ratio est généralement équilibré. Il est même en faveur des femelles pour des petites meutes (ce qui est souvent le cas des loups-garous). Il est également quasi équilibré pour les humains, et le déséquilibre de mortalité fœtale n’est pas suffisamment important pour éradiquer toutes les femelles. Donc, il doit très logiquement naitre des femelles loup-garou. C’est même absolument nécessaire à la survie de l’espèce.

Et concernant la lycanthropie transmise par morsure (… ou autre échange de fluide corporel, après tout), il n’y a pas de raison que les lycans n’agressent et ne contaminent que des hommes…

Ensuite, pour la non-résistance à la transformation. Les femelles humaines sont plus résistantes aux douleurs chroniques ou répétées que les mâles. Elles sont également capables de survivre aux modifications engendrées par la grossesse (qui transforme tout de même le corps en véritable champ de bataille). Il n’y a donc aucune raison pour qu’elles ne survivent pas à leur transformation. Éventuellement, elles pourraient avoir plus de chances de mourir en couche qu’une humaine normale, même s’il est plus probable qu’il y ait une fausse couche avant cela, en fait. Mais ce n’est pas le propos du jour.

En résumé, il n’y a aucune raison biologique qui explique le manque de femelles loup-garou.

Bien sûr, vous pouvez très bien décider qu’il n’y en a pas, ou peu. Comme toujours, c’est votre histoire, et vous êtes le seul maitre à bord. Par contre, il vous faudra trouver une explication convaincante ! Choix des personnes à transformer, chasse aux sorcières, enfermement dans un harem… Peu importe, mais il faut une explication.

Loup au pelage gris beige et aux yeux jaunes, couché en sphinx, tête totalement tournée pour regarder vers la droite de l'image.
« Là ! Du sexisme ! Je l’ai vu ! » Loup gris, photo prise au Parc Animalier de Sainte-Croix

4. Une histoire de sexisme

En fait, ce trope « pas de femelles ou une femme extraordinaire » n’est pas anodin. Quand on y regarde de plus près, il est même extrêmement sexiste.

Déjà, il sous-entend qu’être un loup-garou, ce n’est pas féminin. Le loup-garou est un symbole de force, de nature, de poils, de sangs… Bref de machisme viril. Tout ce qu’une femme n’est pas censée être.

Ensuite, restreindre une femme loup-garou au rang d’exception est une autre manière de la passer au rang de femme-objet. Elle devient un bien précieux, qu’il faut protéger (pour les gentils) ou exploiter (pour les méchants), et rien de plus. Bref, ce n’est pas franchement un rôle très glorieux.

5. Et moi donc ?

Je me place du côté réaliste, pour cette question. J’ai des louves dans ma meute, même si je n’ai pas (du tout) la parité. Lin est une dominante, Elyssia une soumise, Reine et Julia des solitaires qui gravitent autour de la meute. Elles ne sont pas dépeintes comme des objets à protéger (à l’exception d’Elyssia, mais elle a une circonstance atténuante, elle est enceinte, ça rend les gens bizarres), ce sont juste des loups comme les autres. Et c’est tant mieux !

6. Bibliographie

Sur le sex-ratio chez les loups

Sidorovich, V. E., et al. « Litter size, sex ratio, and age structure of gray wolves, Canis lupus, in relation to population fluctuations in northern Belarus. » Canadian journal of zoology 85.2 (2007): 295-300.

Mech, L. David. « Disproportionate sex ratios of wolf pups. » The Journal of Wildlife Management (1975): 737-740.

Pletscher, Daniel H., et al. « Population dynamics of a recolonizing wolf population. » The Journal of wildlife management (1997): 459-465.

Sur les loups en général :

– Les articles scientifiques composant les chapitres du livre de référence « Wolves: behavior, ecology, and conservation » sont en partie disponibles ici (item 316 à 326).

– Cet ouvrage a été partiellement traduit en français par des bénévoles et est disponible ici.

Sur le sex-ratio chez les humains

Orzack, Steven Hecht, et al. « The human sex ratio from conception to birth. » Proceedings of the National Academy of Sciences 112.16 (2015): E2102-E2111., accompagné de son commentaire.

– Wells, Jonathan CK. « Natural selection and sex differences in morbidity and mortality in early life. » Journal of theoretical Biology 202.1 (2000) : 65-76.

Beltrán-Sánchez, Hiram, Caleb E. Finch, and Eileen M. Crimmins. « Twentieth century surge of excess adult male mortality. » Proceedings of the National Academy of Sciences 112.29 (2015): 8993-8998.

Sur la perception de la douleur

– Martin, Loren J., et al. « Male-specific conditioned pain hypersensitivity in mice and humans. » Current Biology 29.2 (2019): 192-201.

Mogil, Jeffrey S. « Sex differences in pain and pain inhibition: multiple explanations of a controversial phenomenon. » Nature Reviews Neuroscience 13.12 (2012) : 859.

Et pour le reste des articles de la série Loup-Garou, c’est par là !

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